Cet article sera sans doute polémique et sujet à débat, et c’est le but. Je vais y exposer une vision très personnelle et très subjective, mais pleine de conviction sur deux notions qui font mythe, clivage et dogme dans le petit monde de l’écriture : le travail (au sens laborieux ) et le génie (au sens socratique).
Pour faire simple, il y a l’idée que le travail, toujours le travail, lourd et laborieux, quotidien et harassant permet seul d’aboutir à une œuvre publiable. Écrire devient un travail à l’image du travail dans le BTP. Le texte doit être relu, re-relu, révisé, amendé… On voit ainsi des gens travailler pendant 1, 2, 3 ans voire plus. Et ils sont félicités, car ils ont bossé, sué sang et larmes sur le texte ! Il y a dans cela une vision très réactionnaire liée au contrôle social exercé par le christianisme au Moyen Âge (le clergé et l’aristocratie dominant la masse laborieuse qui aura droit au salut éternel grâce à son dévouement au travail) et à toutes les formes de contrôle social des masses depuis deux cent ans (jusqu’à un slogan très en vogue en 2007). Je n’irai pas plus loin dans cette piste de réflexion sur ce contrôle social mais je n’en pense pas moins. Or, on le sait, c’est faux ! Le labeur est un esclavage abrutissant et non la création d’une œuvre. Donc, cette idée de « Il faut travailler jusqu’à ne plus en pouvoir ! » est une bêtise que la caricature en entrée d’article résume formidablement bien. Le pire, c’est que pour appuyer cette idéologie qu’un roman ne peut être produit que dans un travail laborieux et quotidien tel un ouvrier qui chaque jour vient à l’usine pour relancer son métier à tisser sans fin ou telle une Pénélope refaisant chaque jour l’ouvrage qu’elle défait la nuit (retenez cette image, je vais la réutiliser plus bas), on crée des dogmes. Vous savez la chasse aux adverbes, le refus du trop d’adjectifs, le fait qu’un texte ne doit pas être lent et contemplatif ou prendre son temps… En clair, écrire n’est pas épanouissant, n’est pas source de plaisir, n’est pas un partage. Non, c’est un boulot exténuant méritant (oh le vilain mot !) salaire et récompense !
Attention là, je ne dis pas qu’écrire est une activité sans règle, qui ne peut pas devenir l’activité rémunératrice d’une personne. Non, je dénonce le fait qu’on puisse la considérer comme une activité crevante, exténuante, difficile, harassante et, si on y arrive, source d’un salut eschatologique. En clair, un servage destiné à rejoindre un paradis promis (l’édition).
À côté, cette idéologie va de paire avec l’idée que le génie n’existe pas ou n’a que peu d’impact. Or, le génie, au sens socratique, c’est l’inspiration, le petit truc qui va faire de votre écrit une œuvre particulière, intime et propice au partage avec le lecteur. Tout le monde a cette part du génie, il suffit d’y croire et de ne pas le détruire une fois qu’on l’a créé. Or, ce mantra du travail à outrance peut amener à détruire le génie d’un texte écrit. Je l’ai vu, d’autres m’en ont parlé, je l’ai vécu comme d’autres. Trop de travail tue le génie (ou si vous n’aimez pas le mot génie, l’intérêt) du texte.
D’ailleurs, si vous lisez en anglais, Dean Wesley Smith (son blog est ici) ne dit pas autre chose. Selon lui, écrire est un business où il faut avoir un minimum de sérieux, ne pas se plaindre (quand on est écrivain, on n’est pas un ouvrier du bâtiment), avoir quelques techniques de base et écrire tout en évitant les réécritures car, justement, elles peuvent détruire l’intérêt, le génie, la perspective innovante, l’originalité du texte. Pire, passer trop de temps sur un texte démontre qu’on est inefficace voire incompétent (et hop, polémique !).
Au final, quel est mon avis ? Écrire n’est pas un travail à mon sens. Il est avant tout un plaisir, une activité épanouissante qui amène à créer un élément de partage. Pour y parvenir, il n’y a que trois règles :
– Arriver à écrire, toujours écrire et encore écrire ! (règle de base mais difficile pour un procrastinateur comme moi).
– Avoir des bases, des techniques et des connaissances sur l’écriture narrative.
– Ne jamais réécrire un texte, juste le relire et corriger ce qui ne va pas (grammaire, orthographe, incohérences et longueurs). C’est D.W. Smith qui m’a appris ça sur son blog.
Et évidemment, savoir que notre premier million de signes sera mauvais.
Après, il faut préserver le génie (l’originalité, l’étincelle, l’élément de peps) de son texte et ne pas le détruire dans l’idée qu’il faut réécrire ! Et ne pas hésiter à casser les dogmes !
Vous aurez compris que pour moi l’écriture doit être épanouissante et que dès que vous estimez qu’écrire est une activité sérieuse, dogmatique et forcément harassante pour obtenir une grande récompense au bout, c’est qu’il y a un problème selon moi (oh comment je suis prudent à dire « pour moi » et « selon moi » !).
Écrire n’est pas un labeur qui permet d’obtenir le ciel en ayant fait preuve de sa sueur et de ses larmes. Non, écrire est un plaisir renouvelé, aussi vital que respirer. Et écrire n’amène pas au Paradis, il amène à un échange de plaisir sans cesse renouvelé. C’est ainsi que je conçois l’écriture, pas autrement.
Bon, après, j’ai un souci… je procrastine énormément. Mais ceci est un autre débat car au moins, je ne dis pas que je bosse quand je ponds une page blanche.